1. Introduction: la fin d’un monde

La fin d’une époque

Nous vivons une époque de changements complexes, marquée par une crise sociale, environnementale, économique, intellectuelle et spirituelle. Au cours des derniers siècles, le marché et la technologie ont remplacé la religion pour offrir une vision structurée du monde et une promesse d’avenir meilleur. L’entreprise nous fournirait le travail, l’État: des services sociaux, le Marché : un moteur de croissance économique, de progrès technologique[Harari, YN Homo Deus].

Promesse nous était faite que travailler dur pour gagner notre vie nous amènerait une vie meilleure pour nous et nos enfants. Enivrés par l’accès abondant au pétrole à bas coût nous avons nourri l’illusion d’une énergie infinie et d’un monde aux ressources naturelles illimitées.

Mais cette promesse est rompue et le voile des illusions se déchire. Nous avons bien eu le progrès technologique et un confort matériel, au moins pour certains d’entre nous, mais cette avancée s’est faite à crédit au détriment de certaines populations mais aussi des écosystèmes qui nous portent.

Malgré les avertissements du club de Rome dès les années 70 sur la finitude de notre monde et l’impossibilité d’entretenir une croissance illimitée, nos sociétés ont continué comme si de rien n’était. Bien qu’ individuellement nous soyons intelligent.e.s, doué.e.s de raison, et que nous ayons toutes les informations dont nous avons besoin, nous avons continué et même accéléré dans cette voie.

Aujourd’hui le moment de payer l’addition s’approche… et nous avons la gueule de bois. Pour faire face à tous les défis du jour, aucune des recettes habituelles ne semble fonctionner.

 

Nos organisations ne fonctionnent plus

Sclérosées par le poids de leurs règles, incapables de gérer la complexité et les changements rapides du moment, les organisations d’aujourd’hui sont obsolètes et touchent leurs limites.

Dans le monde économique, les entreprises essayent désespérément de se « libérer » tout en restant concurrentielles, tandis que dans le domaine politique les institutions déconnectées de leurs citoyen.ne.s se veulent « participatives » et le mot d’ordre est la concertation.
Que ces efforts soient sincères ou seulement des éléments de langage, force est de constater que celà ne suffit pas. Pour pallier la désaffection des organisations traditionnelles, partout dans le monde, des individus et des réseaux de la société civile cherchent à identifier et mettre en œuvre des solutions. Pour cela, ils cherchent notamment de nouvelles formes d’organisations qui respectent les besoins des individus et des écosystèmes, tout en conservant une efficacité collective.

Comment travailler ensemble autrement ?

Traditionnellement on a toujours considéré que l’opposé du modèle pyramidal et concurrentiel était la coopération. Pour autant si le modèle concurrentiel crée des redondances et gâche des ressources sur la protection des idées, la publicité et autre, le modèle coopératif gâche lui aussi beaucoup de temps et de ressources à discuter et à rediscuter les discussions.

Dans les deux modèles on retrouve souvent un petit groupe de personnes qui, explicitement ou implicitement, concentrent le pouvoir. Alors comment concilier l’intérêt individuel et l’intérêt collectif, avec les besoins a priori « opposés », sans retomber dans des vieux schémas où le pouvoir est concentré par une minorité ?

C’est ce pari qu’ont réussi les fourmis et les termites. Derrière leur mode d’organisation réside un principe à la fois simple et complexe : la stigmergie.

La stigmergie est une méthode de communication indirecte dans un environnement émergent auto-organisé, où les individus communiquent entre eux en modifiant leur environnement. [Stigmergie, Wikipédia] La stigmergie a d’abord été observée dans la nature : les fourmis communiquent en déposant des phéromones derrière elles, pour que d’autres fourmis puissent suivre la piste jusqu’à la nourriture ou la colonie suivant les besoins, ce qui constitue un système stigmergique.

Des phénomènes similaires sont visibles chez d’autres espèces d’insectes sociaux comme les termites, qui utilisent des phéromones pour construire de grandes et complexes structures de terre à l’aide d’une simple règle décentralisée. Chaque termite ramasse un peu de boue autour de lui, y incorporant des phéromones, et la dépose par terre. Comme les termites sont attirés par l’odeur, ils déposent plus souvent leur paquet là où d’autres l’ont déjà déposé, ce qui forme des piliers, des arches, des tunnels et des chambres.

C’est aussi la stigmergie qui est à l’œuvre dans l’émergence de projets de grande ampleur comme le développement de logiciel open source ou l’encyclopédie collaborative Wikipédia [Elliott, M., 2008]
Transcendant les limites des modèles pyramidaux et coopératifs classiques, la stigmergie pourrait offrir une nouvelle méthode de gouvernance plus adaptée à la collaboration dans des grands groupes. Si nous souhaitons aller vers des modes de travail en réseaux plus ouverts et plus vivants nous pouvons nous inspirer des réussites des insectes sociaux et de leur fonctionnement en stigmergie.

Photo par Denys Nevozhai sur Unsplash

La stigmergie, un nouveau modèle de coopération à grande échelle

L’essayiste Heather Marsh a écrit un article remarquable sur l’application de principes issus de la stigmergie à la collaboration dans des grands groupes et comme une méthode de gouvernance alternative à mi-chemin entre les organisations fonctionnant sur un modèle de compétition celles fonctionnant sur un modèle de coopération. Publié en 2013, la traduction a suscité un très grand nombre de visites et de commentaires. Je reproduis ici cet article qui secoue bien la tête.

Stigmergie, par Heather Marsh

Cet article fait partie de la série: »Gouvernance et autres système de collaboration à grande échelle » La stigmergie est un mécanisme de coordination indirecte entre agents ou actions. Le principe est qu’une trace laissée par une action dans l’environnement stimule l’accomplissement de l’action suivante, que ce soit par le même agent ou un agent différent. De cette façon, les actions suivantes tendent à se et renforcer et bâtir sur l’existant, ce qui conduit à l’émergence spontanée d’une activité d’apparence cohérente et systématique. La stigmergie est une forme d’auto-organisation. Elle produit des structures complexes sans avoir besoin de plan, de contrôle ou même de communication directe entre les agents. – Wikipédia.

Le problème des organisations actuelles

Un système basé sur les personnes ne permet jamais de collaboration à grande échelle sans un système de représentation, comme on en voit dans les organisations comme les nations unies. Si nous voulons quitter le système de représentation tout en permettant à toutes les voix d’être entendues, nous devons trouver de nouvelles méthodes de collaboration qui marchent avec des systèmes basés sur les idées ou les actions. Des groupes concentriques d’usagers avec des communautés épistémiques et des passerelles de connaissances peuvent fonctionner pour des systèmes fondés sur les idées; pour les systèmes agissant, la stigmergie pourrait être la meilleure option. A l’heure actuelle, la réponse habituelle à une situation qui nécessite une action c’est de créer une entité nominale, sous la forme d’un comité, une commission, une organisation, une entreprise, une organisation non gouvernementale, une agence gouvernementale, etc… Trop souvent l’action n’appairait jamais car il y a à la place une focalisation sur l’organisation et les personnes impliquées.

Le modèle pyramide/concurrence

La plupart des systèmes actuels sont gérés par des organisations concurrentielles. La compétition crée des redondance, ralentit et gâche des ressources sur la protection des idées, la publicité et autre. La compétition nécessite aussi du secret ce qui bloque progrès, évaluation et fait perdre des idées et des opportunités. Brevets et droits d’auteurs réduisent encore plus la vitesse et le potentiel de suggestion d’idées. Les gens qui ont la plus grande expertise ne collaborent pas à moins d’être recrutés sur le même projet.

Le modèle coopération/consensus

Traditionnellement l’alternative à la compétition a été la coopération. Celle-ci est au plus efficace uniquement dans les groupes de deux à huit personnes. Pour les groupes supérieurs à 25 personnes, la coopération est terriblement lente, un exercice de gestion de caractères qui dégénère rapidement en discussions sans fin et brossage dans le sens du poil de sensibilités heurtées, elle est extrêmement vulnérable aux « agents provocateurs », et, dans les groupes de grandes tailles aboutit très rarement à quoique ce soit de valable. La coopération repose traditionnellement sur le principe démocratique que toutes les voix sont égales, donc elle ne permet pas aux leaders, usagers avec une expertise, énergie ou compréhension accrue, d’avoir une influence plus importante que ceux agissant en périphérie. La coopération gâche beaucoup de temps et de ressources à discuter et à discuter les discussions. Dans un système basé sur l’action, la discussion est rarement nécessaire, car l’opinion de ceux qui ne font pas le travail a probablement peu de valeur, sauf dans le cas ou un conseil est sollicité auprès d’une personne experte et de confiance. La coopération et les systèmes basés sur la coopération sont généralement dominés par des personnalités extraverties qui prennent des décisions pour contrôler le travail des autres et crée un ressentiment justifié auprès de ceux qui font le travail. La plupart des travailleurs n’apprécient pas un système hiérarchique comme celui montré dans le diagramme ci dessous, car ils perdent de l’autonomie, la maîtrise et le contrôle créatif de leur propre travail; que le système de prise de décision soit hiérarchique ou horizontal, le sentiment final n’est pas différent. Les systèmes coopératifs utilisent fréquemment le consensus ou le vote pour prendre des décisions pour tout le groupe; ces méthodes risquent de ne pas produire les meilleurs résultats car beaucoup de gens ne comprendront pas le travail s’ils ne le pratiquent pas, et ils peuvent demander des choses qu’eux mêmes ne voudraient pas faire. Les systèmes basés sur le consensus sont aussi sensibles à »l’esprit de ruche », l’appropriation par le groupe des idées et du travail d’individus ce qui peut créer encore plus de ressentiment.

Système hiérarchique

(contrôle du groupe par un individu )

Hiérarchie de consensus

(contrôle des individus par le groupe)

 

Coopération stigmergique

Dans le schéma de la stigmergie ci-dessous, tous les travailleurs ont une autonomie complète pour créer comme ils le souhaitent; le pouvoir du groupe d’utilisateurs réside dans sa capacité à accepter ou rejeter le travail. Comme il n’y a pas de personne désignée pour accomplir une tâche, les usagers sont libres de créer une alternative s’ils n’aiment pas ce qui est proposé. Les travailleurs sont libres de créer sans prendre en compte l’acceptation ou le rejet; dans le schéma ci-dessous des travaux peuvent être acceptés par le groupe le plus important, une alternative par un autre groupe d’usagers, une autre uniquement par un petit groupe, et parfois le travailleur sera seul avec sa propre vision des choses. Dans tous les cas, les travailleurs restent libres de créer comme ils l’entendent. L’histoire n’a pas montré d’idées radicalement innovantes qui aient reçu une acceptation générale immédiate et l’histoire a également fait la preuve que les idées radicalement neuves sont le plus souvent le résultat de vision solitaires; laisser le contrôle du travail au consensus de groupe seulement résulte dans une paralysie de l’innovation.

Compétition et coopération: 2 modèles de »contrôle a priori »

Dans un environnement compétitif, une nouvelle idée est jalousement gardée, légalement protégée et entourée de secret. De gros efforts sont faits pour trouver des supporters de l’idée, en même temps que l’on s’assure que l’idée reste légalement protégée (couverte par des protections légales) tels que des accords de dissimulation. L’idée reste inextricablement liée à son créateur jusqu’à ce qu’elle soit transférée à un autre propriétaire, et tous les contributeurs travaillent pour le propriétaire et non pour l’idée. Les contributeurs doivent ensuite être récompensés par le propriétaire, ce qui limite le potentiel de développement et gâche toujours plus de ressources en accords légaux, actions en justice etc. Les contributeurs n’ont pas d’intérêt particulier à ce que le projet réussisse ou échoue, et n’ont pas la motivation de contribuer plus que ce pour quoi ils sont récompensés. Par contre, si l’idée est développée de manière coopérative, elle doit d’abord être présentée par son auteur, qui devra essayer de persuader un groupe d’adopter l’idée. Le groupe doit être en accord avec l’idée elle-même, et avec chaque stade de son développement. La majeure partie de l’énergie et des ressources sont dépensées en communication, persuasion et management des susceptibilités, et le climat de travail est tendu par de l’argumentation et des luttes de pouvoir. Parce que le projet est conduit par un groupe, et même si c’est un groupe coopératif, le groupe est toujours en compétition avec d’autres projets similaires extérieurs, et gâche toujours des ressources et de l’énergie en secret, évangélisation etc.
Les projets, qu’ils soient sur un modèle compétitif ou coopératif, mourront si le groupe qui le fait fonctionner se retire, et dans les deux cas, les personnalités du groupe existant vont attirer ou repousser les contributeurs. Les deux systèmes sont des systèmes hiérarchiques où les individus ont besoin de demander la permission de contribuer. Les deux sont focalisés sur l’autorité de personnalités qui approuvent une décision au lieu de se focaliser sur l’idée et l’action elle-même.

La stigmergie, un modèle avec « autorisation a priori »

La stigmergie n’est ni compétitive ni collaborative dans le sens communément admis du terme. Avec la stigmergie, une idée initiale est donnée librement, et le projet est conduit par l’idée, pas par une personnalité ou un groupe de personnalités. Aucun individu n’a besoin de permission (modèle compétitif) ou de consensus (modèle coopératif) pour proposer une idée ou initier un projet. Il n’y a pas besoin de discuter ou de voter une idée, si une idée est intéressante ou nécessaire, elle va susciter de l’intérêt. L’intérêt viendra de personnes activement impliquées dans le système et qui auront la volonté de fournir les efforts pour porter le projet plus loin. Cela ne viendra pas de votes vides de personnes qui n’ont qu’un tout petit peu d’intérêt ou d’implication dans le projet. Tant que le projet est soutenu ou rejeté sur la base d’efforts contributifs et non pas sur des votes vides, la contribution de personnes engagées dans l’idée aura plus de poids. La stigmergie met aussi les individus en situation de contrôler leur propre travail, ils n’ont pas besoin de la permission du groupe pour leur dire avec quelle méthode travailler ou à quelle partie contribuer. La personne qui a eu l’idée initiale peut effectuer ou non des tâches pour avancer le projet. La promotion de l’idée se fait par le volontariat, par un groupe enthousiasmé par l’idée; cela peut être ou peut être pas ceux qui la mettront en œuvre. Il n’est pas nécessaire de chercher des fonds et des soutiens; si une idée est bonne elle recevra le soutien requis. (en pratique, ce n’est pas encore vrai, car il y a peu de gens qui ont du temps libre à offrir à de projets basés sur le volontariat, la plupart étant enchaînés à un travail rendu obligatoire par le système financier existant. De plus nous vivons encore dans un système basé sur les personnes/personnalités où seuls les personnalités les plus fortes sont entendues). Le secret et la compétition ne sont pas nécessaire car une fois qu’une idée est donnée, celle ci et tous les nouveaux développements appartiennent à ceux qui choisissent de travailler dessus. N’importe qui peut proposer un travail, l’idée ne peut pas mourir ou être mis en pause par des personnes; l’acceptation ou le rejet concerne le travail fait, et non pas la personne qui l’a fait. Toutes les idées sont acceptées ou rejetées en fonction des besoins du système. La responsabilité et les droits du système sont entre les mains du groupe des utilisateurs dans son intégralité, pas seulement les créateurs. Il n’y a pas de raison que les personnes quittent le système pour des questions de conflits de personnes comme il n’y a pas besoin de communication au delà de l’accomplissement des tâches et qu’il y a habituellement beaucoup d’activités relevant d’une autonomie complète. Comme personne n’est propriétaire/possède le système, il n’y pas de nécessité de créer un groupe concurrent afin de faire évoluer la propriété du système vers un autre groupe. La stigmergie laisse peu d’espace aux agents provocateurs car seuls les besoins du système sont pris en compte. Quiconque agissant contre les fonctionnalités du système est beaucoup plus facile à voir et à empêcher d’agir que quelqu’un qui bloque les avancées avec des discussions sans fin et le développement de conflits de personnes. Parce que le système est la propriété de tous, il n’y a pas non plus de leader à viser.

Nœuds

Plus le travail progresse et plus l’équipe principale et ses membres se développent, plus des personnalités intéressées et dévouées émergent, ce qui commence (à donner au projet) une direction. Des spécialités se forment autour des intérêts de l’équipe principale étant donné que l’équipe principale produit la majeure partie du travail et que ce travail est le plus valorisé par le reste des usagers. Les systèmes au-delà d’un certain niveau de complexité commencent à manquer de cohérence au fur et à mesure que l’énergie et la focalisation du groupe se rétrécit en suivant les intérêts de l’équipe principale et la disponibilité des ressources. Certaines parties du système original peuvent ainsi rester inachevées. Avec l’arrivée de membres supplémentaires, plus de personnes feront l’expérience de la frustration liée à une utilité ou une autonomie limitée. Certains de ces membres trouveront un intérêt dans le travail laissé inachevé et ils créeront un nouveau nœud de membres dans les mêmes dispositions et de nouvelles personnes pour prendre en charge le travail non accompli. De façon alternative, des usagers occasionnels et des observateurs du système, qui n’ont pas l’envie ou l’expertise pour être plus actif dans le système originel, verront un nouveau besoin et démarreront un nouveau nœud. La stigmergie encourage la fragmentation en différents nœuds plutôt que le modèle entrepreneurial traditionnel d’acquisition et d’expansion sans fin. Parce que chaque individu n’est responsable que de son propre travail, et que personne ne peut diriger un groupe de contributeurs, l’expansion signifie plus de travail pour l’individu et une perspective d’auto-limitation. Au fur et à mesure que le système se développe, le travail supplémentaire exige à la fois des ressources supplémentaires et de nouvelles fragmentations. Comme la communication est plus facile et qu’il y a plus d’autonomie dans des groupes plus petits, la fragmentation est le résultat le plus probable du développement. La communication entre les nœuds d’un système s’établit sur la base du besoin. La transparence permet à l’information de circuler librement entre les différents nœuds, mais une relation formelle ou une méthode de communication n’est ni nécessaire ni souhaitable. Le partage d’information est guidé par l’information elle-même, pas par les relations personnelles. Si une donnée est pertinente pour plusieurs nœuds elle sera immédiatement transmise à tous, aucune rencontre formelle entre des personnes officielles/légitimes n’est nécessaire. N’importe quel nœud peut disparaître sans affecter le réseau, et les fonctionnalités subsistantes nécessaires peuvent être récupérées par d’autres. Les nœuds qui s’aperçoivent qu’ils travaillent sur les mêmes taches sont susceptible de s’associer, ou bien certains seront rendus obsolètes par le manque d’usage. De nouveaux nœuds sont créés seulement pour remplir un nouveau besoin ou fournir une meilleure fonctionnalité; il est inefficace que la même tache soit exécutée deux fois et cela n’arrive que quand un deuxième groupe trouve une méthode alternative que le premier groupe ne souhaite pas adopter. Dans ce cas, le meilleur système gagnera plus de soutien de la part du groupe d’usagers et l’autre système disparaîtra ou restera comme une alternative précieuse. N’importe quel utilisateur peut contribuer au nœud qui correspond le mieux à leurs intérêts et leur capacités ou contribuer à plusieurs nœuds.

Le futur

Un nouveau système de gouvernance ou de collaboration qui ne suit pas un modèle hiérarchique concurrentiel aura besoin d’intégrer la stigmergie dans la plupart de ses systèmes fondés sur l’action. Il n’est ni raisonnable ni souhaitable pour la pensée et l’action individuelle d’être soumises au consensus de groupe pour des sujets qui ne concernent pas le groupe, et il est franchement impossible d’accomplir des tâches complexes si chaque décision doit être présentée pour approbation; c’est la plus grande faiblesse du modèle hiérarchique. Le succès incroyable de si nombreux projets Internet est le résultat de la stigmergie, pas de la coopération, et c’est la stigmergie qui nous aidera à construire rapidement et efficacement et à produire des résultats bien meilleurs que ce que chacun d’entre nous envisage au commencement.

traduction collaborative du texte par Lilian Ricaud et membres du groupe AnimFR. Voici une copie de l’article traduit. Pour améliorer la lisibilité j’ai ajouté quelques titres de sections qui n’étaient pas présent dans le texte original.

De la pyramide à la fourmilière

Au cours des vingt dernières années, plusieurs auteurs ont senti que quelque chose de différent se jouait dans les modes de travail collaboratif apparus avec l’émergence d’Internet. « La cathédrale et le bazar » [Raymond, E.], « Swarmwise » [Falvinge, R.], « Wikinomics » [Tapscott, D. et Williams, A.], … ainsi plusieurs ouvrages tentant de comprendre et décrire les nouveaux modes de collaboration à grande échelle ont été publiés, rendus possibles par les nouveaux outils numériques .

L’économie collaborative, la production de pair-à-pair, ces sujets convergent aussi autour des nouveaux modes de collaboration grâce au web.

Mais s’ils traitent des manifestations de la stigmergie, ils passent à côté du concept ce qui limite la portée de leur analyses.

En parallèle les chercheurs ont publié aussi sur la stigmergie, mais leur travaux, souvent rédigés dans un langage très formel, sont peu visibles dans la société civile.

Il y a donc un enjeu à faire circuler les savoirs entre ces deux mondes qui co-existent et communiquent peu.

C’est l’un des objectifs de cet ouvrage. A travers le livre, nous étudierons le concept et les applications pratiques de la stigmergie en nous appuyant à la fois sur ces travaux théoriques et des retours pratiques afin d’essayer de comprendre les opportunités mais aussi les limites d’une coopération en stigmergie.

Écueil numéro 1 : le piège du « coop-washing »

Nous vivons une drôle d’époque, où tel un parasite qui doit en permanence trouver de nouveaux hôtes à infecter, le capitalisme récupère des concepts d’intérêt pour continuer à capturer l’attention et la confiance des gens. Mais dans ce processus extractif les mots et les concepts sont vidés de leur sens.

Ainsi la communication est devenue synonyme d’émission unidirectionnelle de message, la démocratie a eu besoin de devenir « participative » pour tenter de conserver son sens originel.

Ce phénomène est d’une telle ampleur que le terme de « Greenwashing » [Greenwashing, Wikipédia] , traduit par « écoblanchiment » ou « verdissage » a été inventé pour décrire le fait d’utiliser l’écologie comme outil de promotion. Ce procédé trompeur sert souvent à vendre une image de marque ou un produit d’ailleurs souvent fondamentalement non respectueux des écosystèmes.
Ainsi la croissance s’est teintée de « vert » et les « crédits carbones » permettent de continuer à polluer et à spéculer en toute bonne conscience.

Avant, pour être innovant, il fallait mettre des canapés rouges et des gadgets ludiques dans son open space, aujourd’hui tout le monde se met au post-it… parce que les autres le font. Demain est ce que l’on ajoutera de la stigmergie pour être dans le vent ?

Il y a un risque que la stigmergie soit utilisée par des organisations dysfonctionnelles comme un pansement magique pour se parer de l’effet de nouveauté et sauver les apparences de leur processus de travail toxiques.

Il importe d’éviter que l’idée de coopération ne subisse pas le même sort que l’écologie et qu’un « coop-washing » ne vienne pas aider à camoufler les maux que le néolibéralisme a causé dans la société en général et dans le monde du travail en particulier.

Photo par Jaredd Craig sur Unsplash

Écueil 2 : outil d’émancipation ou asservissement ?

L’histoire a montré que les idéologies et les pouvoirs en place sont capables de reprendre et détourner à leur profit des travaux de recherche. Les théories de Darwin ont été ainsi allègrement détournées par le capitalisme pour justifier la compétition, la loi du plus fort et donner une pseudo-légitimité scientifique à des comportements de domination et de prédation des plus forts envers les plus faibles.

Plus près de nous il y a des exemples d’idées, d’idéaux et de technologies qui auraient pu être émancipatrices mais sont devenues asservissantes.

Le web est une utopie vivante. Son langage commun a permis l’émergence d’un réseau ouvert où des milliards d’individus peuvent se connecter, partager et communiquer plus librement. Pourtant depuis quelques années ce modèle est menacé par des entreprises géantes qui en copient les fonctionnalités techniques, mais en recréant à leur profit des barrières et des silos.

L’économie collaborative [Économie collaborative, Wikipédia] devait permettre l’avènement de nouveaux modes de travail où les individus pourraient échanger et collaborer plus efficacement et plus librement. Pourtant, même si il existe des exemples de structures socialement équitables, c’est plutôt le modèle Uber ou Airbnb qui prédomine. Malgré ses promesses, l’économie collaborative semble avoir surtout renforcé la concentration de pouvoir au sein de grands conglomérats, déstabilisant l’économie traditionnelle sans donner plus de pouvoir aux individus comme elle le promettait.

Uber, Airbnb Google, Facebook et les autres capitalistes de surveillance sont des fermes industrielles pour êtres humains. Ils gagnent des milliards en nous mettant en batterie pour nous faire pondre des données et exploitent cette connaissance de notre intimité pour manipuler notre comportement. [Balkan, A. 2019]

Les méthodes agiles avaient initialement été imaginées pour gérer des projets complexes en redonnant plus de souplesse et de vitalité aux processus de travail classiquement utilisés. Celles ci sont devenues à la mode et ont été reprises même dans les grands groupes les plus rigides. Mais bien souvent, seules ont été conservées les apparences, le concept étant vidé de sa substance et utilisé pour mieux renforcer le contrôle hiérarchique. [Fowler 2018; Guay, C. 2018].

En quête de sens

La stigmergie porte en elle une promesse: celle de faciliter la collaboration à très grande échelle.

Dans l’ouvrage nous serons amenés à comparer le comportement de masses d’individus humains indifférenciés à celui de fourmis. Comparer les humains à des insectes aux comportement en apparence « simplistes » pourrait assez facilement justifier de nouvelles formes d’exploitation et la domination.

De telles comparaisons pourraient assez facilement être utilisées pour créer des discours servant à renforcer des formes d’uberisation où concentration de pouvoir et précarisation des personnes seraient encore accentuées.

A l’heure où nous déléguons toujours plus de pouvoir a des algorithmes qui reprennent nos biais cognitifs, il est encore plus essentiel de questionner nos pré-supposés, les paradigmes et récits inconscients qui guident nos actions.

La réflexion développée dans cet ouvrage sera donc couplée à une vigilance sur la compréhension et l’interprétation idéologique des données scientifiques et des analyses présentées.

Ce sera donc une enquête sur un nouveau mode de travail, mais aussi une quête de sens.

Photo par Timothy Chan sur Unsplash

Notes sur l’écriture

Ce chapitre écrit en décembre 2019 semble plus que jamais d’actualité avec la crise du coronavirus. Le point de vigilance sur l’interprétation idéologique a été rajouté en mars 2020 pour anticiper des interprétations et récupération orientées. Il était initialement prévu dans la conclusion, mais le format sous forme de chapitres qui seraient publiés au fur et a mesure (potentiellement sur des mois) a rendu nécessaire la mise en place de tels garde-fous pour prévenir ces récupérations. Plutôt content de cette rédaction qui pose le cadre pour la suite.

MAJ septembre 2022 : ajout de l’article Stigmergie d’Heather Marsh pour faire rentrer très vite dans le sujet et pourquoi l’étudier. Je sentais qu’il fallait le mettre d’une manière ou d’une autre, je pensais le faire sous forme de refoumlation et ou citation de d’extraits dans d’autres chapitres, mais cela fait perdre à l’article son coté vivant. J’ai donc décidé de le l’inclure en entier dans ce chapitre.

Sources

Photo d’en tête par Aaron Burden sur Unsplash

>> Chapitre suivant : 2. La coopération dans les petits groupes

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1 réponse sur « 1. Introduction: la fin d’un monde »

Bravo et merci ! Je pense sans doute comme vous que la stigmergie est un moyen de sortir par le haut de l’impasse planétaire. Il faut continuer à développer votre démarche visionnaire. Cordialement,

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